« Directives anticipées », « fin de vie », « mourir dans la dignité »… Autant d’expressions qui vous auront peut-être interpelés ces derniers temps et donné envie de prendre des décisions.
Voici ma réflexion sur ce sujet sensible de la mort… et les raisons de ma décision de mourir dans, ce que notre droit appelle pudiquement «la dignité ».
Rappel sur le cadre légal français
Etant entendu que :
« Chaque personne majeure peut rédiger, par avance, une déclaration s’elle le souhaite pour préciser ses volontés de fin de vie. Cette déclaration écrite constitue ce qu’on appelle les directives anticipées.
Celles –ci en lui permettant de s’exprimer par avance, donne au patient le moyen de rester acteur des décisions le concernant. Elles permettent à chaque personne d’avoir une fin de vie digne, apaisée et accompagnée en indiquant aux médecins ses souhaits concernant les traitements ou les actes médicaux.
Anticiper ses volontés de fin de vie permet de mourir dignement, dans le respect de ses choix, dans le cas où on ne peut plus communiquer après un coma, des troubles cognitifs profonds, un accident, une maladie grave ou encore du fait de son grand âge.
Les directives anticipées permettent d’exprimer les volontés de fin de vie. Chacun peut inscrire dans ce document son refus ou sa volonté de poursuivre, de limiter ou d’arrêter les traitements ou les actes médicaux.
Un individu peut également indiquer son souhait par rapport à un traitement de maintien artificiel de la vie ou sur le fait de bénéficier en accompagnement d’un arrêt des traitements d’une sédation profonde et continue. »
Source : Ministère des Solidarités et de la Santé (mars 2019) 1.
Ma décision de mourir : une décision altruiste avant tout
Un jour, si je me retrouve définitivement immobile sur un lit et avec un niveau de conscience faible ou insuffisant pour communiquer, je vous le demande : aidez-moi à mourir dans la dignité.
Je vous le demande pour ma famille et pour mes proches.
Oui je vois dans cette décision un acte altruiste et non égoïste. Une preuve supplémentaire d’amour et non le signe d’une société du choix permanent.
Le symbole final du souci des autres et non celui d’un droit individuel à décider de tout, à tout avoir. Penser à ceux qui restent et resteront est pour moi une nécessité, un élément à intégrer dans cette prise de décision.
« On considère qu’une personne est en fin de vie lorsqu’elle est atteinte d’une affection grave et incurable, en phase avancée ou terminale. »
Alors pour lever toute ambiguïté par rapport à un état végétatif quel que soit mon âge et l’origine de cet état, je vous le répète : aidez-moi à mourir sans souffrance et ce même si je ne suis pas mourant, si je ne suis pas en fin de vie ou si je ne subis pas d’acharnement thérapeutique.
Je refuse toute réanimation cardio respiratoire, assistance respiratoire, alimentation et hydratation artificielles, etc :
N’y voyez pas en premier lieu une non acceptation de ce qui serait alors une grande fragilité. Voyez-y plutôt la conscience d’un être qui serait en survie permanente et dont l’état empêcherait celles et ceux qu’il aime de vivre.
Loin de me considérer alors comme un être en danger, je me considérerais comme une personne mettant en péril l’existence de mes proches, la vie de celles et ceux que j’aurai tant aimés.
Oui si j’ai choisi de me marier puis de donner la vie à un enfant, ce n’est pas pour les voir suspendus à mon sort en raison d’un fil.
Leur soin, leur attention et leur amour, ils me les auront déjà donnés et suffisamment prouvés. Je voudrais qu’ils continuent de vivre.
Je ne voudrais pas qu’ils se sentent trop longtemps impuissants devant mon corps alité et encore moins coupables de me débrancher, d’arrêter de m’alimenter… Il y a tant de choses à vivre et de personnes à rencontrer.
Bien sûr avec cette décision, j’aurais mon propre bénéfice : celui d’éviter de souffrir. Je ne parle pas ici d’une souffrance physique, j’ose espérer que les traitements seraient suffisamment puissants pour m’en préserver, mais d’une souffrance morale que même l’amour des proches ne suffit pas à combler.
Le double sentiment d’un immobilisme forcé et d’une impuissance totale.
Des sentiments que les épreuves de la vie m’ont fait tutoyer. Suffisamment en tout cas pour ne pas vouloir les pousser à l’apogée. Plutôt que de chercher à les comprendre, je vous demanderai de ne pas hiérarchiser les difficultés de chacun et ainsi respecter mon vécu.
Disons simplement que deux opérations d’une tumeur au cerveau, six mois de chimiothérapie, la toxicomanie de mon frère puis son décès après celui de ma mère m’ont invité à réfléchir sur nos fragilités. Je ne parle même plus de mon handicap. A quoi bon créer une case supplémentaire qui enferme les individus et éloigne les autres de la compréhension de vos capacités ?
Le temps : un allié dans la décision et l’acceptation
Il faudra sans doute à mes proches un peu de temps pour se résoudre à ses directives, un peu de temps pour les accepter mais dès qu’ils seront prêts, ils ne devront pas hésiter à les appliquer.
Rappelons ici que « les directives s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, excepté dans 2 cas :
- en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation (par exemple, patient à réanimer suite à un accident de santé brutal),
- lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conforme à la situation médicale. Dans ce cas, le médecin doit rendre sa décision à l’issue d’une procédure collégiale inscrite dans le dossier médical. La décision de refus d’application des directives anticipées est portée à la connaissance de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou des proches.»
Mes proches seront peut-être tristes un certain temps, mais ils pourront ainsi faire leur deuil plus facilement. J’en suis convaincu.
Déjà, ils sauront que j’étais conscient de leur amour et rien que cela, c’est très important. Après la mort de ma mère et de mon frère, une question m’a hanté : « Savaient-ils à quel point je les aimais ? Leur avais-je dit suffisamment ? »
Et puis, mes proches sauront que j’étais prêt à leur rendre tout leur amour au point de les libérer d’une « pseudo présence ». Pseudo présence : comment qualifierai-je autrement cet état d’un corps alité sans échange, sans interaction avec le monde ?
Enfin, la tristesse une fois évacuée, il y aura peut-être même quelque chose de libératoire dans mon décès. Si je me réfère à la perte de ma mère, j’ai ressenti pendant plusieurs semaines une douleur physique sur mon flanc gauche, comme si une partie de moi s’était envolée. Mais au bout d’un certain temps, cette blessure a disparu, et a fait place à un sentiment de liberté supplémentaire.
Un ami m’avait précédemment parlé de ce sentiment de liberté et j’avais eu du mal à le comprendre. Mais finalement je le partage. Et ce n’est pas manqué d’amour, de respect ou de considération pour ma mère. C’est juste un constat.
Pour moi, ma mère n’est pas partie, je pense à elle ainsi qu’à mon frère tous les jours. J’ai appris à trouver une forme de présence dans leur absence, à vivre avec eux autrement et à partager leur vécu avec mes proches.
Alors quand je serai décédé, il en sera peut-être de même pour ma fille et mon épouse. C’est tout le bien que je leur souhaite.
A l’écoute du moment présent
Bien sûr, aujourd’hui, j’ai envie de vivre et de croquer la vie à pleines dents. J’en ai fait le serment à ma mère le jour de son enterrement : « la vie continue » disait-elle après chaque épreuve. Un serment renouvelé le jour des funérailles de mon frère.
Simplement je crois aussi être conscient que nous ne sommes que de passage et qu’à ce titre je voudrais que celles et ceux qui resteront après moi puissent vivre pleinement. Profiter sans se déchirer. Créer, innover, chanter, danser, s’amuser… se réjouir de tous les plaisirs de la vie et du sens qu’il nous faut trouver.
Pour l’heure, je suis encore là et je retourne à mes petits tracas : courir après un numéro de commande à mentionner sur une facture destinée à cette grande entreprise pour laquelle j’ai réalisé une prestation il y a plus d’un mois, relancer ce banquier qui a mis le compte familial dans le rouge mais il parait qu’il n’y peut rien, « c’est automatique »… ou bien encore essayer de convaincre celles et ceux qui voient avant tout la difficulté dans les opportunités que je leur présente.
C’est certain, je n’ai pas envie de m’arrêter de vivre. Je suis à l’écoute de ce qui m’entoure et c’est un boulot à plein temps.
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